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  • ANALYSE SITUATION D'AGRESSION - La nuit en centre-ville

    Par Maya SANDERS
    Instructrice, Auvergne Krav Maga

    Revenons sur une situation d’agression de rue ultra-violente, qui s’est déroulée dans le centre de Clermont-Ferrand, dimanche 5 janvier au petit matin. Cette agression, très choquante, est cependant intéressante à analyser car elle présente une situation tristement banale de violence sexiste et permet de mettre en lumière l’un des aspects primordiaux du Krav Maga : l’aspect préventif.

    L’aboutissement à une situation d’agression peut s’analyser avec le concept de la « ligne de temps », c’est-à-dire l’enchainement des faits dans le temps, qui ont conduit à la situation violente : par exemple, la personne se réveille, se prépare, sort de chez elle, emprunte tel itinéraire, tel moyen de transport, est dans un certain état d’esprit (attentive, préoccupée, fatiguée…), prend telle ou telle décision pendant son parcours, entre en relation ou non, etc… .

    Dans le déroulé des évènements qui ont conduit à une agression, il y a une série d’actions et de prises de décisions, plus ou moins conscientes. Cela signifie donc qu’à plusieurs moments, une action ou une décision différente aurait peut-être permis d’éviter le pire. Dans l’immense majorité des cas, lorsque l’on analyse a posteriori une situation d’agression, on peut déceler une ou plusieurs « erreurs » commises préalablement.

    Attention, il ne s’agit en aucun cas de culpabiliser les victimes en les rendant responsables de leur agression, mais simplement d’amener une prise de conscience du rôle que peut jouer notre comportement dans les évènements que nous rencontrons. Cela permet de ne pas être totalement soumis aux aléas du « pas de chance » et de travailler sur la part maîtrisable de notre vie, pour minimiser les risques et ne pas nous exposer inutilement. Et cette part s’appelle la prévention. Cela n’est pas miraculeux et ne nous préservera pas du tragique et toujours possible «mauvais endroit au mauvais moment », mais tout de même…

    Rappelons également qu’il ne s’agit pas de devenir paranoïaque et d’être perpétuellement sur ses gardes et à l’affût du danger. Le système Krav Maga propose un code couleur pour définir les situations qui nécessitent plus ou moins de vigilance. Nous utilisons celui-ci dans nos cours :

    - Code VERT : situation où il n’y a aucun danger, relaxation (je suis chez moi avec les portes verrouillées)

    - Code JAUNE : situation de vigilance normale (je sors de chez moi, je suis attentif à mon environnement)

    - Code ORANGE : situation anormale et potentiellement menaçante (quelque chose m’interpelle dans mon environnement)

    - Code ROUGE : danger (je dois réagir : fuir, communiquer, combattre…)

    Revenons sur notre situation d’agression : Deux étudiantes sortent de boite de nuit en centre-ville et se séparent de leur groupe d’amis pour aller rejoindre leur voiture. Elles sont prises à parti par trois hommes en voiture qui s’arrêtent à leur hauteur. L’une des jeunes femmes répond aux remarques insultantes qui leur sont adressées et s’ensuit une agression violente. L’un des hommes sort de la voiture et lui assène une énorme claque. La jeune femme se défend en retour et les autres hommes interviennent à leur tour, en passant à tabac les deux jeunes femmes qui s’en sortiront en mauvais état (commotions cérébrales, blessures ouverts). Malgré la présence de témoins, elles devront se rendre seules aux urgences, et porteront plainte par la suite, l’une d’elle ayant eu la présence d’esprit de prendre en photo la plaque d’immatriculation de la voiture de leurs agresseurs.

    Ces jeunes femmes ont de la ressource et ne se sont pas laissées faire, mais malheureusement il est vraisemblable que la violence de leurs agresseurs les a prises au dépourvu et elles n’étaient pas en situation de force face à trois hommes.

    La pratique du krav maga aurait-elle pu les amener à prendre le dessus au moment de l’agression ? Cela n’est pas certain mais probablement que leurs réflexes auraient pu être différents (notamment, lors du premier coup, la défense sur gifle suivie d’une contre-attaque étant une technique basique du krav facile à utiliser).

    Mais la vraie question ici est la suivante : la pratique du krav maga aurait-elle pu modifier leur comportement et l’enchainement de leurs prises de décisions dans la ligne du temps, pour éviter de se retrouver au final dans cette situation de danger ? Probablement.

    Explications :

    1) Ces jeunes femmes ont parfaitement de droit de sortir la nuit dans les rues et de mettre de jolies tenues féminines. C’est indiscutable. Sont-elles en sécurité quand elles le font ? La réponse est non. Nous pouvons convenir que cela est malheureux, mais c’est ainsi. Le minimum, lorsque nous décidons de nous mettre dans une situation dangereuse, est d’avoir conscience du danger (pour reprendre le code couleur, cette situation est codée ORANGE, il fait nuit, il s’agit de deux jeunes femmes, probablement apprêtées, le degré de vigilance doit être élevé).

    2) Ces jeunes femmes étaient initialement dans un groupe d’amis. Elles se sont séparées de ce groupe pour rejoindre leur voiture. Je ne saurais trop vous conseiller, notamment si vous êtes une femme et même si vous êtes à deux, voire trois copines, de ne jamais vous séparer de votre groupe, après une soirée. Vous y êtes bien plus en sécurité, soit en raison du nombre de personnes, soit du fait de la présence d’hommes à vos côtés. Messieurs, soyez vigilants, vous devez raccompagner les femmes jusqu’à leurs voitures. Mesdames, cela n’est pas du sexisme, c’est une attitude consciente et responsable. Et il est également possible d’embarquer et de déposer ensuite les accompagnants auprès de leur propre voiture. Dans ce type de sorties nocturnes, prévoir la logistique du retour avant le départ n’est pas un luxe, il en va de votre sécurité. Que vous le vouliez ou non, les rues de centre-ville la nuit ne sont pas safe !

    3) L’agression ne prévient pas. Si vous vous exposez, prévoyez au moins de quoi vous défendre en cas de problème. Une bombe lacrymo dans un sac (en gel plutôt qu'en gaz, préférable en cas de vent) ne prend pas beaucoup de place. Dès le moment où ces hommes sont entrés en contact avec les jeunes femmes, la situation est passée en code ROUGE. La main est dans le sac, sur la bombe lacrymo, prête à être utilisée.

    4) Ne répondez jamais à la provocation verbale ou aux insultes. L’agresseur, surtout en groupe, ne voudra pas perdre la face et n’attend aussi parfois qu’un prétexte pour passer à l’acte et déchainer sa violence. Poursuivez votre route, et saisissez la première opportunité pour vous mettre en sécurité (commerce, café sur votre route…). Même si vous faîtes du krav maga !

    5) Dans cette triste histoire, il y avait apparemment des témoins de la scène. « Autour des jeunes femmes meurtries et sidérées, un groupe de fêtards alcoolisés et d’autres témoins de la scène. "Ce qui me répugne, c’est que personne n’a rien fait" ». C’est affligeant, mais dans ce type de situation, partez du principe qu’il ne faut compter que sur soi-même. Prenez vos précautions comme si vous étiez totalement seule, et ne comptez pas sur l’intervention des tiers. Les chevaliers et leurs destriers se font rares de nos jours et les gens ne veulent pas avoir de problèmes.

    Voici donc quelques éléments de précaution qui auraient pu être mis en œuvre de manière préventive, et qui auraient peut-être pu modifier l’issue de cette situation, si des décisions différentes avaient été prises. Il ne faut pas se culpabiliser en tant que victime, en se disant qu’on aurait dû agir différemment. Ce qui est fait est fait et votre niveau de conscience du moment ne vous permettait pas d’agir autrement.

    Les seuls coupables sont les agresseurs. Mais il est possible de tirer des leçons de ces situations et de se responsabiliser pour prendre en charge sa propre sécurité à l’avenir… et miser davantage sur l’aspect préventif, pour éviter d’avoir à mettre en œuvre des techniques de défense physiques et comportant forcément elles aussi une part importante de risque et d’incertitude.

    A méditer.

    Voici ci-dessous l'article qui rapporte les détails supplémentaires sur cette agression: Victimes d'une violente agression dans la rue, à Clermont-Ferrand, deux jeunes femmes témoignent - La Montagne